Avec ses mouvements d’encre caractéristiques permettant de créer une alternance de pleins et de vides, on peut dire que Dorian Mercier possède un style bien à lui. « Parfois, à force de travailler pendant des heures, je finis par voir la réalité comme mes paysages. Je me plonge littéralement à l’intérieur. J’aimerais que les gens puissent ressentir ça en les regardant », nous explique-t-il en souriant.
C’est que ses toiles, qu’elles soient réalisées à l’encre de chine ou par linogravure, demandent beaucoup de minutie et de patience et finissent par apposer un filtre sur le réel, lui aussi formé de vides et de pleins. Dorian n’a pas pour habitude de dessiner au crayon avant de peindre. Il commence directement par noircir le papier, en créant des volutes ombragées puis fabrique, au grès de ses errances créatives, ce qui prendra la forme d’un paysage. Arides et ténébreuses, ses œuvres offrent pourtant une certaine abondance de formes nébuleuses qui cohabitent ensemble et rappellent le symbolisme des estampes japonaises ou des toiles postimpressionnistes.
On ne saurait considérer ses œuvres comme de simples landes stériles car on parvient à déceler, à mesure qu’on les observe, un écosystème foisonnant. Saturés de détails, d’interstices, de creux, de bosses et d’ondulations minérales, on se perd rapidement dans une promenade visuelle qui laisse chaque spectateur d’interpréter librement. On peut voir, dans une même œuvre, la banquise figée par un froid mordant ou une nature calcinée après une éruption volcanique. Il y a toujours une ambiance d’apocalypse qui laisse supposer des considérations écologiques.

« Heidegger postule que l’art advient là où l’œuvre ouvre un espace devant lequel le spectateur fait une expérience tout à fait inédite. Il explique ainsi comment l’espace ouvert par les Nymphéas de Monet nous fait perdre nos repères. Devant l’œuvre, il évoque le sentiment de ne plus savoir s’il doit marcher, nager ou voler. Mon travail invite au même titre le spectateur à faire une expérience spécifique de l’espace, étrangère à celle que nos sens nous donnent dans notre vie ordinaire. […] En construisant une image très contrastée, en alternant les zones vides et d’autres saturées de détails, j’aspire, par le biais d’un effet de saturation rétinienne, à capter l’attention du spectateur, à lui faire perdre ses repères pour susciter chez lui une rêverie poétique. Une rêverie où, parcourant l’espace de l’œuvre, le spectateur parcourt au même moment son espace intérieur » explique-t-il sur son site internet.
Cette idée de l’alternance entre le vide et le plein nous fait revenir à certains fondements du taoïsme. Lao Tseu explique que c’est l’invisible ou autrement dit le vide, qui donne du sens aux choses. Un vase ou une maison n’auraient aucune utilité sans le vide qui les habite. Selon le sage chinois, tout est matière dans l’univers. Cette matière est ainsi modelée et travaillée par ce qu’il nomme l’énergie du tao. Sans vide, la matière n’est que chaos. Ainsi le vide ordonne, il créer des formes que l’esprit interprète.
Dorian Mercier pousse un peu plus loin cette réflexion en réfléchissant à une transposition de son travail vers une installation interactive. Ce professeur d’arts plastiques aspire désormais à l’obtention de l’agrégation. Il a déjà porté ce projet expérimental lors du concours en dessinant sur des rouleaux de papier qui s’illuminent par séquences. « Dans l’idéal, j’aimerais pouvoir avoir toute une pièce qui permettrait au spectateur de traverser littéralement les œuvres dans un parcours tracé au sein d’un autre espace-temps« , nous explique-t-il. « Le travail d’Abdelkader Benchamma est un bon exemple de ce que cela pourrait donner. »
Les œuvres de Dorian sont en vente sur Etsy à des prix très abordables ou directement à son atelier rouennais. N’hésitez pas à le contacter pour plus de renseignements.
contact@dorianmercier.fr
Interview réalisée le 09/02/22 par Jordan More-Chevalier.