Attention, chien méchant – Nouvel espace partagé de création à Rouen


En remontant la rue Beauvoisine, face au Centre Régional Information Jeunesse, se trouve la discrète rue Beffroy. S’affiche désormais au numéro 4, en lieu et place de l’ancien Studio Full B1, un avertissement peint en lettres blanches se détachant sur fond noir et qui indique : « CHIEN MECHANT ». Rassurez-vous, lorsque l’on passe le seuil de la porte aux heures d’ouverture, on y découvre un lieu fraîchement aménagé et un collectif d’artistes très affables, tout à fait disposés à nous renseigner sur la nature du projet. Pas de menaces canines à l’horizon donc, mais un espace partagé de création abritant de nombreux talents de la scène rouennaise.

Jeudi 7 octobre dernier, se tenait l’inauguration officielle des lieux. Au programme : buvette associative, live sur synthé modulaire et exposition collective des artistes de Chien Méchant. « L’idée, c’est de créer du passage, nous explique Léana, artiste et adhérente de l’association. Nous avons souhaité mettre en place un lieu qui nous ressemble. Un lieu de création qui nous permet d’échanger et surtout qui reste ouvert au public et aux artistes extérieurs ».

En effet, ce ne sont pas moins de 21 résidents au total qui se partagent un lieu divisé en trois pôles : image, vidéo, studio musical. Quelques noms bien connus des rouennais attirent l’attention, comme les groupes MNNQNS ou SERVO pour ne citer qu’eux, mais l’idée est de fédérer autour d’une philosophie commune. « Pendant le confinement, ce lieu nous a permis de continuer à travailler. Parfois, nous nous retrouvions simplement et nous échangions. C’est important en tant qu’artiste que de continuer à interagir avec d’autres personnes aux sensibilités différentes. Ici tous types de projets sont envisageables grâce à la diversité des domaines représentés et à la capacité d’adaptation des espaces. Notre complémentarité nous permet de proposer des idées ou des prestations à d’autres personnes. C’est un lieu de travail et de sociabilité où les outils sont mis en commun au service de notre créativité. »

Un beau projet en perspective, surtout lorsque l’on prend le temps d’observer le travail de chacun.e.s. On imagine alors assez bien cet espace héberger de fructueuses collaborations ou d’autres artistes en résidence. Nous n’avons malheureusement pas le temps à travers cet article de parcourir les œuvres de tou.t.e.s, mais nous vous invitons vivement à aller regarder et soutenir les noms mentionnés en fin d’article.

L’organisation en collectif est un modèle qui répond à une réalité économique, celui du statut précaire des artistes. La mise en commun des lieux et des moyens de production apparaît comme un prérequis obligatoire afin de redessiner une zone de liberté assez grande pour eux. Nombreux.euses sont celles et ceux qui s’essayent en freelance et se voient dans l’obligation de répondre à des commandes qui ne correspondent ni à leurs valeurs, ni à leurs engagements esthétiques. Il en va de même de la « start up way of life », où l’entreprise parodie vaguement la configuration du « squatte » pour mieux masquer le triptyque managérial bien-être-productivité-profit. Un tour de passe-passe très maladroit pour ne pas nommer la nouvelle forme d’un soft control qui tue l’inspiration et les initiatives dans l’œuf. Chien Méchant semble bien s’inscrire dans cette contre-proposition, celui du partage d’un lieu et d’outils ayant pour but de préserver l’individualité de chacun.e tout en ouvrant des fenêtres vers des projets collectifs.

Historiquement, cela n’a rien de nouveau. L’artiste a toujours été considéré comme précurseur des nouvelles formes de travail associant créativité, solidarité et flexibilité. Cela s’explique par sa marginalisation qui le place de fait comme « non essentiel », on l’a vu pendant la crise sanitaire, car non productif d’un point de vue capitaliste. « Flexibilité », « Résilience », « Adaptation », « Hybridité », des termes aujourd’hui largement repris dans le management néo-libéral mais qui, dans les faits, ne servent qu’à déguiser un processus organisé de précarisation du marché du travail avec une obsession renouvelée du contrôle. Le collectif et l’atelier sont alors respectivement une forme et un lieu qui redonnent sens à des termes trop souvent galvaudés et qui permettent de conserver une forme d’autonomie. Ici, la « flexibilité » et la « créativité » peuvent réellement exister. En s’extirpant en partie des logiques de marché, l’artiste réintègre cette position de « créateur », non pas au sens de « créateur de valeur » mais comme un idéal social où l’épanouissement artistique personnel prend tout son sens au sein du collectif.

Alors, il ne nous reste plus qu’à souhaiter à CHIEN MECHANT tout le succès qu’ils méritent dans cette quête vers un espace de création libre et décomplexé, s’affirmant comme une alternative face aux modèles plus traditionnels. Vous pourrez le constater vous-mêmes en vous rendant à leur prochain évènement qui aura lieu le 5 novembre sur place et qui présentera le travail de Raoul Vignal et Johan Asherton dans le cadre d’un concert co-programmé avec l’association Avis de Passage. (Billets disponibles au Rêve de l’Escalier ou sur place).

Pôle image : HERMAN, Louise Levasseur, Léana Dan, Clothilde Evide , Louise Delacroix, Clément David, Julie Jarosz


Pôle vidéo :
 Association COFEEL (Grégy Serres et Anaïs Hénocq)


Studio : MNNQNS, SERVO, UNJOYCE, Vincent Février, Clément David

Administratrice Culturelle : Bérénice Bénard

Texte rédigé par Jordan More-Chevalier, relu et corrigé par Auxane Leroy.