« T’avais jamais entendu de rap de meufs ? » – Rencontre avec LuckyLux


Rencontre avec LuckyLux, passionnée de hip-hop et chroniqueuse sur la radio rouennaise HDR depuis juin 2020. Dans « t’avais jamais entendu de rap de meufs ? », elle nous présente chaque semaine le travail d’une rappeuse de son choix. à ce jour, elle a dressé le portrait de plus d’une trentaine de femmes allant de la jeune Tessae aux pionnières comme Ste Strausz en passant par les Normandes R’may et Yelsha. Nous avons discuté de sa chronique, de la place des femmes dans le rap francophone et des cultures urbaines à Rouen.

LuckyLux est aussi membre du collectif La Charbonnerie et travaille en ce moment sur un livre retraçant l’histoire du Hip-hop à Rouen.

Comment t’es venue l’idée de « t’avais jamais entendu de rap de meufs ? »

Au premier confinement je suis partie à la campagne chez une pote. Je pense que pour la plupart des créatifs, ça a été un temps pour se réinventer. Tous les matins je publiais sur Instagram un petit délire que j’ai appelé « un tableau un son » avec le #aLittleBeatInArt où j’associais un son hip-hop à une œuvre graphique classique ou street. C’était mon rituel avec le café. J’ai adoré faire ça et j’ai eu des échanges hyper enrichissants avec plein de monde. Des artistes mais aussi des gens comme toi et moi qui ont accroché au concept. Bref, à la sortie du confinement j’ai été contactée par Antoine d’HDR pour transformer ce truc en chronique radio. Sauf que pour parler d’un tableau sur les ondes c’est un peu compliqué et je n’avais jamais fait de radio. On s’est rencontré et je lui ai proposé un autre sujet pour lequel il a été partant : les rappeuses. Du coup je suis chroniqueuse chez eux depuis juin 2020 et j’adore ça. HDR c’est plus qu’une radio c’est un lieu de partage et de rencontres. Enorme big up à Nico pour sa patience, ses recommandations musicales et littéraires mais aussi pour m’avoir appris à utiliser le matos.

Le nom de ma chronique t’avais jamais entendu de rap de meufs ? , c’est en référence à un gimmick de Youssoupha « t’avais jamais entendu de rap français » mais je suis en train de réfléchir à un nouveau nom car l’adjectif « féminin » c’est pas un style de rap. J’apprends de mes erreurs ! Les nanas elles rappent et c’est tout. Ce n’est pas facile de parler d’une minorité sans lui coller une étiquette et comme je travaille principalement sur la toile, il fallait bien des mots-clefs. Il y aura une nouvelle saison de ces chroniques mais elle vont évoluer.

Effectivement, en écoutant tes chroniques (dont les podcasts sont disponibles sur HDR.fr) on se rend compte que tu traites de tous les styles, toutes les époques, tant que c’est en français et fait par des femmes.

Oui, on est dans tous les styles de rap et toutes les temporalités parce que les femmes qui « posent » ça ne date pas d’hier. Pour cette chronique il y a une volonté de promouvoir uniquement des rappeuses, francophones. Pour moi le propos est aussi intéressant que la musicalité.

Et comment tu trouves tes sujets de chroniques, il n’y en a pas beaucoup du coup des rappeuses ?

Si si ! Justement c’est aussi pour ça que je fais ce travail ! Elles ne sont juste pas assez mises en lumière et c’est ce que je regrette. L’idée de cette chronique n’est pas un acte féministe à la base c’est juste le regret et le constat qu’il n’y a pas beaucoup de médiatisation mais c’est en train de changer, et en mode exponentiel ! Et pour les trouver, c’est simple : je ne suis pas la seule à m’intéresser à ce sujet. Je vais te citer Illustre, une rappeuse dont j’aime le travail : « va y avoir quelques modifications j’suis pas la seule à kicker, y’a pas que pour Diam’s et Keny, que la nouvelle génération va bientôt polémiquer ».

T’as Madame Rap, le premier média en France dédiées aux femmes et au LGBT+ dans le hip-hop. C’est la source la plus exhaustive qui répertorie vraiment toutes les rappeuses françaises et internationales. T’as des concours de femcee (féminisation de MC), comme le casting Rappeuz qui a eu sa finale nationale ce weekend (18-19/09/21 NDLR) au Flow Lille – Centre Eurorégional des cultures urbaines. Il y’a des labels qui se spécialisent ; des compiles et des cyphers (regroupement de plusieurs rappeurs/ses sur une même chanson) dans tous les sens ; des festivals comme La Belle Hip-hop en Belgique ou le Femcee’s Fest en France … et puis tout ça sera bientôt sur ton écran avec la saison 2 de Validé (sortie le 11/10/21 NDLR) où l’héroïne sera jouée par une rappeuse qui s’appelle Laetitia Kerfa aka Original Laeti.

Et puis en vrac je te cite des noms pour les curieux qui ne seront pas déçus : à l’ancienne t’as Bam’sPrincesse Aniès, Ste Strausz, et en plus récent et toujours actives Casey, un monument, la Gale ou KTgorique toutes deux des suisses, Billy Brelok, Pumpkin, MCM, gros textes MCM, il faut se faire à l’accent québécois mais c’est puissant ce qu’elle fait. Fanny Polly première rappeuse à être signée chez Scred Connexion ou encore mon coup de cœur du moment : Eesah Yasuke, qui vient de remporter le Buzzbooster national (un concours de rap mixte). Et puis forcément clin d’œil à la région avec R’May qui vient de Rouen ou encore Yelsha qui vient de Caen.

En parlant féminisme, je voulais savoir si tu avais eu des critiques, comme le taclé que s’était pris Alice Coffin avec Le Génie Lesbien (2020), en choisissant de faire une chronique exclusivement centrée sur des artistes féminines ?

Non, mon travail est plutôt bien accueilli. Maintenant j’anime d’autres chroniques notamment sur la webTV du collectif La Charbonnerie qui est un collectif hip-hop local et là-dessus je parle majoritairement de MC mec. Après, je ne suis pas dans l’égalité, je suis dans l’équité. Je ne me considère pas comme féministe, je pense que de toute façon en tant que femme tu l’es par essence et puis j’aime le rap qu’il soit « masculin ou féminin ». Je regrette qu’il n’y’ait pas assez de visibilité, même si je réitère mon propos, c’est en train de changer. En tant que femme c’était mon envie de participer à leur mise en lumière, mais je n’écoute pas que des rappeuses loin de là.

En faisant des recherches je suis tombée sur une émission du Mouv’ pour la journée de la femme 2019 où Pauline Duarte, la directrice de Def Jam France, disait attendre de pouvoir signer plus de femmes, qu’elle n’avait pas eu le coup de cœur encore, et qu’elle regrettait que les rappeuses veuillent trop « faire les mecs ». Qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce qu’il existe un rap féminin ?

Je pense que ce n’est plus d’actualité aujourd’hui. Je vais te donner l’exemple de Chilla (signée par Tefa), elle prône sa féminité tout en faisant un rap technique et de qualité, et il y en a d’autres. En vrai, plus il y aura d’exemples, plus il y aura de rappeuses, qu’elles soient féminines ou non. Et autre point, tout le monde écoute du rap, même ma mère écoute du rap ! C’est donc logique que l’on voit émerger de nouveaux modèles. Pour répondre à ta question de « faire les mecs », je sais aussi qu’on demandait aux artistes de gommer leur féminité à une période…  

Ensuite entre hommes et femmes il y a clairement des sujets qui sont communs, mais aussi des sujets propres. J’aimerais entendre plus de rappeuses en radio parce qu’elles portent des messages qui vont parler aux femmes et que les hommes devraient entendre aussi. Elles sont des symboles de courage et de force. De gros ovaires quoi ! Bien évidemment il y’a des sujets sociétaux qui sont communs que ça soit homme ou femme mais voilà il y a des femmes qui vont parler de maternité, de sexualité, de violences conjugales, avec leur propre point de vue. 

Dans le top 50 en France, à côté des rappeurs on va trouver les femmes, comme Wedjene et Aya Nakamura, classée en RnB. Est-ce que tu penses qu’il y existe une dualité rap/RnB ?

Ça c’est difficile. Aya Nakamura par exemple si tu regardes sur Apple Music elle est en RnB, mais il y’a des moments où elle kick (se dit d’un rap technique et affuté NDLR). Je ne suis pas assez calée pour répondre à cette question, je ne connais pas encore tous les rouages de l’industrie. Je crois surtout que c’était plus facile, il fût un temps, de les vendre sous l’égide RnB et qu’elles se traînent un passif de chanteuses de refrain RnB sur des sons rap.  

Et du coup à Rouen, où est-ce qu’on peut entendre du rap, et du rap de femmes ?

En réalité il y n’a pas d’endroits dédiés, c’est beaucoup de petits évènements underground. Avant l’arrivée du covid, tu avais Le 3 Pièces qui faisait de temps en temps des scènes raps et des opens-mic, à la Soucoupe aussi sur le campus ou à la Friche LucienLe 106 avec des premières parties ou le 106 expérience, l‘ECFM à Canteleu a fait une scène rap locale avant le premier confinement… mais je regrette ça à Rouen, on reste sur des évènements vraiment ponctuels et on n’a pas un lieu pour nous rassembler. La scène locale est pour le moment quasi masculine mais elle est là, c’est un vivier. Je suis en train de rencontrer les DJs et beatmakers locaux, bientôt ça sera les MC puis les danseurs et les graffeurs, pour un projet de livre sur l’histoire du hip-hop de chez nous. A Rouen et agglo, rien qu’en MC, on est déjà à plus de cent personnes. Je ne te parle même pas des graffeurs. D’ailleurs, je remercie toutes celles et ceux qui m’ont déjà donné de leur temps pour ce projet et merci par avance à toutes celles et ceux qui voudraient participer.

Je finirais sur un petit truc à l’attention de la ville de Rouen, candidate pour la capitale européenne de la culture 2028 ; c’est quand qu’on a un vrai lieu pour les cultures urbaines, wesh ?

Interview réalisée par Maumaus le 20 septembre 2021. Texte relu et corrigé par Jordan More-Chevalier.