Maëva Yger inaugurait le vernissage de son exposition au Nash ce mercredi 9 septembre. Déjà connue par les rouennais, on peut entrevoir certaines de ses toiles derrière la vitrine de son atelier rue des bons enfants. Cette ancienne étudiante de l’école des Beaux Arts a su, au fil du temps, façonner un univers fantasmagorique, empreint d’une certaine naïveté apparente et dans lequel surgissent des monstres invisibles… On pense très vite au travail de l’illustrateur français Benjamin Lacombe et plus encore à l’univers surréaliste de Tim Burton, où derrière la vivacité des couleurs apparentes, se cache une noirceur, illustrée chez le cinéaste américain, par d’intimidants jeux d’ombres.
Lorsqu’on lui demande pourquoi peindre des portraits de femmes, souvent marquées d’aspérités qui annoncent une mutation, elle nous parle de son intérêt pour la dualité. En morcelant parfois ces figures familières qui reviennent régulièrement peupler ses œuvres, elle essaye de sonder ce qui peut se cacher au-delà des apparences. C’est le cas par exemple pour sa Du Barry à quatre yeux, référence assumée pour la Comtesse Du Barry, maîtresse et favorite du Roi Louis XV. Perçue à son époque comme un « monstre », une « veuve noire dévoreuse d’hommes », la version de Maëva laisse transparaître directement des traits arachnéens sur un intriguant visage émacié. Le fait de faire surgir un élément surréaliste exprime un stéréotype qui, de fait, marque un corps et appose des stigmates sur cette personne pourtant connue pour avoir été affable et délicate. « C’est le regard des autres qui l’a rendu monstrueuse » nous explique Maëva.
Même démarche pour son impératrice chinoise, portait libre de Wu Zetian, seule femme a avoir occupé les plus hautes fonctions de l’empire du milieu en 690 et connue pour avoir œuvré à faire reconnaître les femmes en leur permettant, notamment, l’accès à des postes officiels. Elle s’illustra également par des réformes jugées sociales en améliorant les conditions de vie des travailleurs agraires, l’accès à l’éducation et se positionnant, entre autres, pour le développement d’une expression « libre et critique ». Elle contribua à faire de la Chine une véritable puissance économique, commerciale et culturelle. Maëva se fascine une fois de plus pour une ambivalence, racontant à travers son tableau une part plus sombre de cette figure progressiste à la poigne de fer. En effet, lors de son ascension, certains historiens estiment qu’elle aurait elle-même étouffée son propre enfant pour mieux accuser l’impératrice en place et ainsi contester sa légitimité.

La Dubarry de Maëva Yger
Côté références, Maëva nous parle du travail du photographe américain Grégory Crewdson. La mise en scène de ses clichés laissent présager une histoire en dehors du cadre qui serait la clé d’une situation figée par la temporalité du format. Le fait de ne pas connaître une posture, une expression, un comportement, rend la chose « bizarre ». Le mystère du hors-cadre, notamment au cinéma, a toujours fait l’essence des grands films d’horreur. Une posture qui l’intéresse tout particulièrement et qu’elle met à l’oeuvre dans certaines de ses toiles. « Aux Beaux Arts, je n’ai pas tout de suite pu faire de la peinture comme j’aime le faire. C’est assez drôle car, quand je regarde mon travail durant cette période, notamment en photographie, on retrouve les mêmes sujets et les mêmes thématiques avec énormément de mise en scène, de couleurs et de jeux d’éclairages. Comme si tout ce processus de réflexion devait me mener vers ce que je fais aujourd’hui« .
Avec un penchant pour l’étrange et le surgissement de couleurs pour mieux l’illustrer, Maëva admet être fascinée par les cabinets de curiosité. Cela explique en partie parfois sa façon de procéder. « Il m’arrive des fois de trouver des cadres que je trouve très beau et qui vont donner le sujet du tableau. Je vais composer mes portraits à partir de cette limite et c’est l’objet qui va finalement me donner l’inspiration« .

Si vous souhaitez en savoir plus sur les mystères qui hantent les tableaux de Maëva Yger, rendez-vous les 27 et 28 septembre prochains, dans le cadre des visites d’ateliers d’artiste. Ce même week-end, quelques changements seront d’ailleurs opérés sur le mobilier urbain de la rue des bons enfants, où les artistes du collectif au titre éponyme s’illustreront par une touche très personnelle…